Mardi 13 octobre 2015, est prévu un exercice nucléaire à la centrale de Penly-Dieppe (Seine-Maritime) qui compte 2 réacteurs atomiques de 1.300MWe[1].
Comme à l’accoutumée, la préfecture, le SDIS (les pompiers), l’ASN (l’Autorité de Sûreté Nucléaire), EDF, SAMU et consorts sont dans la boucle. La CLIN (commission locale d’information), est également présente mais peu connaisse son rôle et ses attributions.
Nouveauté pour cette fois, l’exercice envisage, en toute simplicité, la fusion du cœur du réacteur, accident ultime et maximal s’il en est. Il est même prévu, autres nouveautés, une météo réelle et un suivi post-accidentel. Toute chose qui devrait nous rassurer, mettant en évidence que l’exploitant et les pouvoirs publics appréhendent, enfin, la réalité plusieurs fois démontrée de la faillibilité de ce qu’est l’énergie atomique civile au 21e siècle.
On peut aussi, d’un autre point de vue, s’inquiéter de la tournure que pourrait prendre cette technologie avant-gardiste des « 30 glorieuses » et qui, soit dit en passant, fut imposée à tout un pays sans la moindre consultation démocratique.
Quoi qu’il en soit, cet exercice aura bien lieu. Un de plus.
Mais le bon sens et « la règle du jeu » (Chaque étape sera simulée dans les conditions les plus proches de la réalité) auraient voulu que l’on informa les populations de celui-ci, dans un périmètre conséquent, à tout le moins celui du PPI (Plan Particulier d’Intervention) qui est de 10 km autour de la centrale.
Que nenni !
En effet, seules 3 communes, Saint-Martin-en-Campagne (1.256 hab.), Berneval-le-Grand (1.412 hab.) et Penly (381 hab.) situées dans le périmètre des 2 km autour de la centrale seront concernées.
Soit potentiellement 3.000 personnes (dont un grand nombre sera parti travailler), alors que la région dieppoise en compte plus de 50.000 et au moins le double pour l’ensemble du bassin dieppois !
Une fusion du coeur entre soi en quelque sorte.
Mais alors pourquoi un exercice si on n’en profite pas aussi pour tester de nouvelles façons d’informer la population qui sera la première concernée ?
De façon pragmatique, on peut faire un tour d’horizon des médias susceptibles d’annoncer la situation.
- La presse locale ne manquera pas de le faire les jours précédents. Mais elle est hors course en cas de vrai sinistre en ce qui concerne le « temps réel ».
- Les radios : France Bleu est « La » radio à écouter en cas de malheur. Encore faut-il disposer d’une radio avec des piles car un sinistre peut priver d’alimentation électrique d’importantes zones de population. A noter que France Bleu Haute Normandie devait réaliser un direct depuis la centrale de Penly le vendredi précédent mais le projet a été annulé faute de temps.
- La télévision, mais elle est de plus en plus diffusée par les « boxes » connectées à Internet et au réseau électrique et il faut être chez soi ou disposer d’un mobile évolué avec abonnement 3G/4G.
- Internet avec l’incertitude de connexion via les « boxes » ou la 3G/4G et le risque de saturation du réseau.
- Les opérateurs de téléphonie mobile sont aussi susceptibles d’intervenir. A cette occasion, il aurait été fort intéressant de tester certaines technologies, telle le « cell broadcast[2]» qui permet de diffuser des SMS à tous les téléphones portables acceptant ce type de diffusion présents dans la zone d’une borne émettrice. (A noter que cette technologie est théoriquement insensible à de la saturation des réseaux, typiquement ce qui se passe le soir du 31 décembre). Cette possibilité existe dans certains pays comme les Pays-Bas.
Mais malheureusement, aucun des trois opérateurs en France n’en est équipé à l’heure actuelle.
Pour cela il faudra du temps, beaucoup d’argent et de développement pour équiper tout leur réseau.
Autant dire que c’est financièrement quasiment impossible à court terme et incertain à moyen terme, les opérateurs ayant d’autres priorités (fibre, 4G).
Une autre technologie similaire, le SMS géo-localisé permet d’envoyer des SMS sur la zone précise de diffusion d’une ou plusieurs borne-relais en temps quasi réel si le portable est allumé. « Mais », car il y a un « mais », ces deux technologies se heurtent à un écueil de taille : la CNIL, commission national informatique et libertés qui considère que cette géo-localisation constitue une atteinte aux libertés individuelles (même si l’on sait très bien que tout mobile est tracé et enregistré dans des bases de données mais que seule une procédure judiciaire dûment encadrée permet d’y avoir accès).
Les opérateurs ayant déjà été confrontés à ce problème attendent la mise en place d’un fort cadre juridique.
Pour contourner cette situation ubuesque, il serait donc nécessaire au préalable à tout accident nucléaire, technologique ou naturel de s’inscrire ou de télécharger une application pour pouvoir bénéficier de l’information qui peut vous sauver la vie.
La catastrophe d’accord, mais avec préavis !
Il reste encore une ultime solution, testée, résiliente, efficace, de large diffusion, relativement facile et rapide à mettre en oeuvre et de faible coût : le RDS (radio data system, qui date de 1974). C’est le système qui permet l’affichage (64 caractères défilants maximum) du nom de la chanson et/ou de la station sur les autoradios et les récepteurs fixes qui en sont équipés. Le système diffuse sur la région couverte par l’émetteur FM sélectionné. Radio-France et TDF l’utilisent depuis plus de six ans dans l’Hérault et le Gard pour informer les populations des risques de crues[3].
Il aurait pu être intéressant de tester cette technologie avec un message du type « exercice centrale nucleaire penly info 0800 05 76 76 www.clin76.fr ».
Diffusé régulièrement, de façon transparente et inaudible sur le signal FM de France-bleu, sans perturber la grille des programmes, il permet à toutes les personnes qui sont à l’écoute et aux nouveaux arrivants sur zone d’être informés officiellement de la situation sans devoir faire une annonce de vive voix sur l’antenne en direct pour un simple exercice. Cela permettait aux équipes de se roder (car il y a quand même une logistique à mettre en place) et d’avoir en plus un retour de la population (le message est-il bien reçu, bien compris…) avec le nombre d’appels sur le répondeur numéro vert de la centrale EDF de Penly que l’on imagine dimensionné pour diffuser une information officielle et rassurante pour 200, 1000, 5000 appels dans la journée. Mais la préfecture de Seine-Maritime ne semble pas avoir retenu l’idée.
Une fois de plus, cet exercice « en vase clos », sert à valider diverses procédures de commandement et de contacts institutionnels, des déplacements de personnes et de matériels coupés du monde, de ses réalités et contraintes. Il ignore complètement l’information en temps réel de la population et ses réactions : mouvements imprévisibles, saturation des réseaux routiers et de télécommunications, incidents, accidents, rumeur, panique, voire émeute qui viendront probablement perturber ce grand ordonnancement.
Il est vraiment dommage de se priver de tester à peu de frais (un opérateur acceptant gracieusement de faire le test SMS-géo) et en grandeur nature, l’utilité de moyens de communication rapides, réactifs, modernes, populaires et de grande diffusion pour tenter de limiter les conséquences néfastes d’un accident nucléaire, technologique ou naturel majeur et sa gestion post-accidentelle qui sont d’une complexité inouïe, impossible à modéliser et prévoir.
Alain Corréa
[1] http://www.seine-maritime.gouv.fr/Politiques-publiques/Securite-et-Defense/Securite-civile/Risques-naturels-et-technologiques/Risque-nucleaire/Securite-nucleaire-exercice-le-13-octobre-2015
[2] Une mission d’évaluation de cette technologie par l’Inspection Générale de l’Administration est attendue fin 2015.
[3] Un retour d’expérience est en cours à Radio France, pour analyser l’annonce des inondations dans les Alpes-Maritimes