STOP-EPR se prononce contre la modification d’exploitation relative aux prises d’eau et rejets dans l’environnement à Paluel

Le Collectif STOP-EPR salue l’effort d’information du CNPE de Paluel pour expliquer les enjeux et le cadre réglementaire dans lesquels s’inscrit la demande de modification d’exploitation de la Centrale de Paluel[1]. Après une tentative infructueuse début octobre, la consultation du public a pu être organisée dans les conditions spécifiées par la législation en vigueur permettant l’expression du plus grand nombre.

Pour autant, cet effort d’information ne répond pas pleinement à la nécessité de garantir la transparence définie par la loi du 13 juin 2006. Les raisons pour lesquelles l’exploitant propose des modifications en particulier des limites annuelles de rejet des effluents radioactifs liquides et gazeux pour le paramètre tritium ne sont pas expliquées clairement.

La société civile et plus largement les populations exposées quotidiennement aux impacts de l’activité électronucléaire d’EDF ne peuvent émettre aucun avis sur les choix industriels qui déterminent les modifications de l’impact sur l’environnement et la santé publique du CNPE. La participation du public est de fait limitée aux conséquences d’une exploitation qui n’a jamais été soumise à aucune forme de consultation.

Nous doutons des intentions de l’exploitant. Si en effet « ces modifications permettent un ajustement des limites pour mieux répondre aux besoins directs de production électrique de la centrale », nous regrettons que ces « besoins directs » dont nous contestons l’utilité et la nécessité ne soient pas soumis à consultation du public.

La modification n°1 proposée par l’exploitant semble intéressante de prime abord. Au vu des événements survenus à Nogent en aout 2003 et à Chinon en septembre 2007, l’usage de morpholine et d’éthanolamine est en effet plus sûr que celui de l’ammoniaque. Pour autant, ces produits utilisés pour le conditionnement du circuit secondaire et des générateurs de vapeur lors des arrêts de tranche représentent un risque sanitaire non négligeable. La morpholine est un produit très corrosif qui a des effets génotoxiques en particulier sur le foie et cancérogène en présence de nitrite. Il s’agit d’un agent mutagène et cancérogène dont l’impact sur la santé publique est encore mal connu. Nous attendions en conséquence plus de précisions de la part de l’exploitant sur les conditions de stockage et les règles de manipulation de ce produit.

Les nouveaux usages de ce produit ne seront pas sans conséquence sur l’environnement. Les quantités annoncées par l’exploitant sont en effet impressionnantes. Si les rejets d’azote sont ainsi réduits, ce ne sont pas moins de 89 kg de Morpholine et 24 kg d’éthanolamine qui pourraient être rejetés dans le milieu naturel en une journée[2]. Si on ajoute à cela les autres rejets liquides autorisés, il apparaît clairement que les pollutions chimiques de la centrale seront non seulement accrues en quantité mais modifiées en qualité considérant que le cumul de toutes ces substances entrainera immanquablement des « effets cocktails[3] » méconnus ou plutôt ignorés…

Les modifications n°2 et 3 tout comme la modification n°1 donnent à voir un souci au mieux relatif de « réduire et compenser les impacts sur le milieu naturel[4] ». Non seulement l’exploitant nucléaire néglige la toxicité du Tritium[5] mais il persiste à ignorer les avis de la société civile en exposant la population à un risque sanitaire évident[6]. Ce problème n’en sera qu’accru. Les modifications telles qu’elles sont formulées, loin d’amener une diminution effective des impacts, permettent à l’exploitant d’esquiver les responsabilités qui lui incombent. Il disposerait ainsi de marges entre les limites qui lui seraient accordées et les rejets réels en fonctionnement normal autorisant de fait une augmentation ponctuelle ou durable sans déclaration d’incident en cas de dégradation des conditions de fonctionnement…

« Ceci concerne en premier lieu l’apparition de défauts d’étanchéité sur les gaines qui entraîne inévitablement une augmentation des taux de diffusion des produits de fission (voire des matières nucléaires) contenus dans les crayons vers le fluide primaire. Mais d’autres phénomènes peuvent intervenir. Ce serait par exemple le cas d’une augmentation de la corrosion des matériaux de la cuve ou du circuit primaire (lié par exemple à une tenue insuffisante au vieillissement, ou aux conditions thermiques ou hydrauliques rencontrées), se traduisant par l’accroissement des produits d’activation correspondants en suspension dans l’eau.

De tels phénomènes, sur les gaines ou le circuit, ne sont pas inévitablement liés aux conditions d’exploitation de la centrale. Toutefois, ils peuvent être influencés par tout renforcement des contraintes de fonctionnement imposées par l’exploitant aux composants du réacteur pour l’amélioration de ses performances. A l’inverse, l’augmentation des performances peut renforcer les effets sur les rejets : par exemple, la progression des taux d’enrichissement du combustible conduit à des concentrations plus grandes de produits de fission dans les gaines combustibles, donc à une diffusion plus forte en cas de fissure[7]. »

Toujours est-il que les « demandes de révision des limites annuelles de rejet des effluents radioactifs liquides et gazeux pour le paramètre tritium prouvent l’incapacité de l’exploitant à maitriser la fission nucléaire et plus encore le vieillissement des installations. La modification de la composition du combustible et de la conduite de l’installation ne garantit en rien une amélioration de la sûreté. L’environnement est bel et bien sacrifier au profit de l’espérance inutile de poursuivre coute que coute l’exploitation d’installations obsolètes dont les couts sont sans cesse croissants[8].

Les justifications de la modification n°4 concernant le « relèvement de la limite en activité volumique tritium dans les réservoirs de collecte des effluents du circuit secondaire » confirment la profonde dégradation des installations. Elles nous donnent à voir aussi une certaine tendance à contourner règles et principes applicables à l’industrie nucléaire. Afin de garantir l’étanchéité du circuit secondaire, en principe « non nucléaire », l’exploitant est aujourd’hui contraint d’en reconnaitre la contamination constante. Ainsi ne demande-t-il pas un simple relèvement mais le doublement de la limite de l’activité volumique… « pour éviter des opérations de déconcentration » complexes et risqués. Au final ce seront donc des effluents plus contaminés qui seront rejeter dans le circuit de refroidissement et donc en mer. Il est évident qu’une telle autorisation ne saurait être accordée à EDF et nous demandons à l’Autorité de sureté d’exiger que l’étanchéité entre circuit primaire et circuit secondaire soit garantie même en fonctionnement dégradé.

La modification n°4 comme la modification n°5 entraineront de fait une augmentation des « débits d’activité pour les substances radioactives rejetées par le CNPE sous forme gazeuse et liquide. » Tout du moins les observations de l’IRSN sur les demandes de modification des autorisations de rejets du CNPE de Cattenom le laisse penser[9]. L’exploitant initie une procédure qui aboutira de différentes manières à une augmentation de l’impact dosimétrique quelques soient les artifices développées pour essayer de les minorer… sur le papier. En effet la présentation par EDF, basée sur une évaluation enveloppe de l’impact des rejets aux limites d’autorisation, ne permet pas de rendre compte du détail de l’impact réel, qu’il s’agisse de la part des différents radionucléides rejetés dans l’impact dosimétrique actuel ou de l’évolution de cet impact attendue des changements qualitatifs et quantitatifs dans les rejets.

Mais surtout la présentation par EDF de l’impact pour des rejets ne permet pas de mesurer précisément l’impact des rejets potentiels dans le cadre d’une situation de fonctionnement dégradée. Ces rejets, pour l’ensemble des radionucléides hors tritium et carbone-14, ont en effet un impact beaucoup plus faible en valeurs réelles en fonctionnement normal qu’en calcul sur les valeurs aux limites : cette différence traduit les importantes marges que l’exploitant conserve dans ses demandes pour fonctionner « normalement », c’est-à-dire sans déclaration de situation d’incident, dans des conditions dégradées. Elle montre également que l’impact des différents radionucléides concernés, marginal en temps normal, peut devenir très significatif lorsqu’une situation particulière fait que les rejets de certains d’entre eux s’approchent des limites. Enfin nous apparaît comme inacceptable que des autorisations ponctuelles de dépassement du débit d’activité par cheminée soient envisagées.

La modification n°6 proposée concernant la révision des autorisations relatives aux rejets de la station de production d’eau déminéralisée n’est pas plus admissible que les précédentes au vu de la dégradation du milieu marin après trente années d’exploitation nucléaire intensive. Si « la révision des limites de rejet des substances issues de la station de production d’eau déminéralisée permet une prise en compte de la qualité naturelle de l’eau brute », elle donne surtout à voir la capacité de l’industrie nucléaire à négliger les conséquences de ses pratiques sur l’environnement. Le littoral de Seine-Maritime est suffisamment dégradé pour éviter de multiplier rejets qui peuvent contenir une masse significative de substances radioactives et chimiques nocives.

Les besoins du site afin de pouvoir fonctionner avec des limites reflétant la réalité de l’exploitation de cette station ne devraient en aucun justifier une demande de modification des autorisations mais inciter l’exploitant à modérer ses impacts en mettant en œuvre les meilleures techniques disponibles. La production d’électricité ne peut en aucun cas justifier la pérennisation de rejets de substances chimiques et radioactives dont les impacts effectifs sont peu connus ne serait-ce qu’au titre du principe de précaution.

Le même raisonnement peut être appliqué à la modification n°7 concernant la régularisation des opérations de dessablage des fosses des tambours filtrants de la station de pompage. Le clapage n’est pas une solution satisfaisante au regard de la nécessité de préserver le milieu marin et plus particulièrement une ressource halieutique en péril[10]. L’exploitant nucléaire ne devrait-il pas envisager le traitement à sec de ces matières et des contrôles stricts de la présence de toxiques avant d’envisager quelques actions que ce soit ?

Enfin, le Collectif STOP-EPR ni à Penly ni ailleurs, au vu des ambitions de l’exploitant et de sa stratégie industrielle visant à prolonger la durée d’exploitation des réacteurs au-delà des limites raisonnables envisagées par la Loi de transition énergétique pour la croissance verte, considère que la modifications n°1 est concernées par les critères définissant une modification notable d’une installation nucléaire de base mentionnés à l’article 31 du décret n°2007-1557 du 2 novembre 2007[11] et précisés par la modification récente de l’article L593-15 du Code de l’environnement[12]. Cette modification devrait en conséquence faire l’objet d’une procédure similaire à celle d’une demande d’autorisation de création, c’est-à-dire à une procédure bien plus précise que celle initiée aujourd’hui par l’exploitant, au vu de l’évolution notoire de l’exploitation des réacteurs dans laquelle elle s’inscrit.

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Somme toute le Collectif STOP-EPR ni à Penly ni ailleurs conformément à son engagement antinucléaire considère que les modifications proposées par l’exploitant ne sont ni opportunes ni acceptables. Plutôt que d’envisager des artifices destinés à couvrir la dégradation du parc nucléaire et l’incapacité à maîtriser les rejets dans l’environnement de chaque réacteur, nous préférerions qu’EDF admette l’urgence de mettre à l’arrêt définitif des installations obsolètes dont les risques et les impacts ne seront jamais compenser par des rafistolages vains et dispendieux.

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[1] https://one.edf.fr/sites/default/files/contrib/groupe-edf/producteur-industriel/carte-des-implantations/centrale-paluel/surete-et-environnement/EDF%20PALUEL_dossier%20de%20synthese%20demande%20de%20modif%20arr%C3%AAt%C3%A9%20de%20rejets.pdf

[2] Si l’on prend en compte la vidange simultanée des deux réservoirs Ex et du réservoir T.

[3] http://www.sciencesetavenir.fr/sante/20150903.OBS5198/4-questions-pour-comprendre-l-effet-cocktail-des-perturbateurs-endocriniens.html

[4] http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/doctrineERC-vpost-COPIL6mars2012vdef-2.pdf

[5] http://www.asn.fr/sites/tritium/fichiers/Tritium_CHAP_5-6.pdf

[6] http://www.acro.eu.org/le-tritium-un-risque-sanitaire-sous-estime/

[7] http://www.wise-paris.org/francais/rapports/notes/031017NoteAddEP-Cattenom.pdf

[8] http://www.reporterre.net/Le-nucleaire-coute-de-plus-en-plus

[9] http://www.irsn.fr/FR/expertise/avis/Documents/AVIS-IRSN-2012-00482.pdf

[10] http://www.dailymotion.com/video/x2xzdss

[11] http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000469544

[12] http://www.red-on-line.fr/hse/blog/2015/09/10/loi-transition-energetique-002401